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KEAN : “Je tente de permettre aux gens de s’évader via mes peintures”

© Kean

KEAN, 32 ans, est un artiste français dont la pratique de graffeur a évolué vers des compositions colorées sur toile, marquées par la profondeur et l’abstraction. À la croisée des codes du graff, de l’art contemporain et de la photographie, ce rêveur a su trouver un équilibre et créer un univers esthétique qui lui est propre.

Pouvez-vous nous parler de vos débuts en tant que graffeur ?

J’ai commencé à pratiquer le graffiti à 16 ans. Avec des amis, nous investissions l’espace urbain et travaillions le lettrage à la bombe. L’objectif était alors de laisser autant que possible sa trace sur les murs des rues. Ce que j’aimais avant tout dans le graffiti était le fond, l’intérieur des lettres, et le dégradé que je pouvais y réaliser. De ce dégradé, je créais une véritable profondeur qui me fascinait. J’expérimentais alors le mélange des couleurs, je tentais de comprendre comment certaines couleurs pouvaient s’harmoniser et pas d’autres. De fil en aiguille, je travaillais davantage sur les fonds de mes graffs que sur les lettres elles-mêmes.

Comment vous est venue l’idée de passer du mur à la toile ?

Cela s’est fait très progressivement. Un jour, un de mes amis a réalisé un graff sur une toile pour son propre plaisir. Puis, il a réalisé de nouveaux graffs sur des toiles qu’il a commencé à vendre. Ce fut la première fois que j’ai pris conscience de la possibilité d’un changement de paradigme : au lieu de laisser des traces partout dans l’espace urbain, et donc condamnées à être éphémères et entraînant un processus coûteux, pourquoi ne pas laisser plutôt une trace sur une toile qui ne sera pas détruite mais au contraire préservée en tant qu’œuvre et qui de surcroît peut être source de rémunération. 2010 fut un tournant puisque j’ai eu l’occasion de partir à New York graffer dans la Mecque du graffiti, à savoir 5 Pointz. Ce fut pour moi qui graffais depuis longtemps un choc émotionnel et j’y ai pris énormément de photographies. Je ne me considère pas comme un photographe mais j’apprécie ce mode d’expression. J’ai alors réalisé qu’il y avait une passerelle à trouver entre l’art urbain, la photographie et l’art contemporain sur toile. J’ai multiplié les voyages et j’y ai développé ma pratique de la photographie tout en continuant à graffer.

© Kean

Avez-vous trouvé avec le temps ce que vous recherchiez à réaliser en mélangeant les codes du graff, de l’art contemporain et de la photo ?

Avec l’âge, je prenais davantage conscience du caractère éphémère de la vie et je recherchais à laisser ma trace sur une toile qui me survivrait sur plusieurs siècles qui sait (Rires). Grand contemplatif, je tendais également vers ce que je trouvais essentiel dans la vie, à savoir la nature, les voyages, et plus particulièrement les souvenirs des sensations que provoquait la vue d’un paysage. La photographie permettait de capturer ces souvenirs de paysages que j’aimais tant. J’ai alors tenté de les retranscrire en peinture sur une toile. À partir d’une ligne d’horizon, j’ai commencé à diviser sur sa largeur un cadre rectangulaire similaire à celui de la photographie en plusieurs parties. Puis selon l’adage “less is more”, j’ai réduit ces divisions à une composition propre à la photographie de paysage, à savoir 1/3 – 2/3 car visuellement l’impact était beaucoup plus fort. En photographie, le ciel peut représenter 1/3 et la mer 2/3 et vice versa. Lorsque j’ai commencé mes propres toiles il y a quatre ans, je me suis dit que j’avais trouvé cet équilibre esthétique que je recherchais depuis si longtemps. J’ai commencé à la bombe de peinture puis j’ai mélangé au fur et à mesure davantage avec l’acrylique. Mes premières toiles représentaient encore des lettres propres au graffiti mais progressivement elles se sont fondues dans la couleur, laissant place à une totale abstraction. Aujourd’hui, je n’utilise plus la bombe qui ne permet qu’un nuancier d’une centaine de couleurs contrairement à l’acrylique qui propose un éventail de 10 000 couleurs différentes. L’acrylique donne à mes créations une autre texture et une autre lumière proches d’un rendu photographique. Et puis j’ai découvert des pinceaux fins et larges, les spalters, qui me permettent d’obtenir des dégradés encore plus nuancés.

© Kean

Comment définiriez-vous votre style actuel ?

Entre post-graffiti et abstraction. J’ai grandi avec une culture de graffeurs puis avec le temps, je me suis ouvert à d’autres horizons et notamment à une culture davantage d’art moderne et contemporain. J’ai d’ailleurs découvert le mouvement du Color Field des années 40-50 lorsqu’on m’a dit que mes peintures pouvaient évoquer celles de Mark Rothko, l’un des maîtres américains de l’abstraction. Je ne connaissais pas son travail avant de créer instinctivement mon propre style.

© Kean

Pouvez-vous nous dévoiler vos futurs projets ?

Je collabore actuellement avec plusieurs galeries et je vais bientôt exposer notamment à Lausanne, Luxembourg, Strasbourg, et Paris. Grâce à ces galeries, j’ai la chance de pouvoir vivre de mon art. Pour mes prochaines expositions, je travaillerai sur le thème du voyage et du paysage qui défile derrière une fenêtre qu’elle soit celle de l’avion, du train ou autre. Ainsi, les formes qu’elles soient ovales, rondes ou rectangulaires, offriront à voir une abstraction de couleurs tout en profondeur invitant au voyage. Je tente de permettre aux gens de s’évader via mes peintures.

Retrouvez KEAN sur son compte Instagram en cliquant ici.

Propos recueillis par Annabelle Reichenbach

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